"En voyant les mineurs au travail, on se rend compte à quel point peuvent être éloignés les univers dans lesquels vivent les gens. Au fond, là où on extrait le charbon, c’est une sorte de monde à part qu’on peut aisément ignorer sa vie durant. Il est probable que la plupart des gens préféreraient ne jamais en entendre parler. Pourtant, c’est la contrepartie obligée de notre monde d’en haut. La quasi-totalité des activités auxquelles nous nous livrons, qu’il s’agisse de manger une glace ou de traverser l’Atlantique, de cuire un pain ou d’écrire un roman, suppose – directement ou indirectement – l’emploi du charbon. Le charbon est nécessaire à toutes les activités du temps de paix. Qu’une guerre éclate, et il se fait encore plus indispensable. Dans le cas d’une révolution, le mineur a le devoir de rester fidèle au poste, sous peine de saborder la révolution, car la révolution a tout autant besoin du charbon que la réaction. Quels que soient les événements qui se déroulent au jour, il faut que l’abattage et le pelletage se poursuivent sans trêve ni répit, ou tout au moins sans s’interrompre pendant plus de quelques semaines, au grand maximum. Pour que Hitler puisse marcher au pas de l’oie, pour que le pape puisse dénoncer le péril bolchevik, pour que les foules puissent continuer à assister aux matches de cricket, pour que les poètes délicats puissent continuer à fixer leur nombril, il faut que le charbon soit là. Mais généralement, nous ne sommes pas conscients de cela. Nous savons tous que « le charbon est primordial », mais nous ne pensons jamais, ou presque jamais, à tout ce qu’implique l’extraction de ce charbon."
George Orwell, Le quai de Wigan (1937), traduit par Michel Pétris, éditions Champ Libre, p. 39.
Claude Monet, Les déchargeurs de charbon, 1875.